Une troisième génération d’immigrants
Tout commence à Beauport, en Nouvelle-France, un matin d’hiver du 12 janvier 1707. Conformément aux usages de l’époque — alors que l’Église assumait à la fois les fonctions religieuses et civiles — elle est baptisée le jour même à l’église de La-Nativité-de-Notre-Dame. Ce jour-là, Marie Geneviève Binet voit le jour dans une famille qui s’enracine progressivement dans le jeune sol canadien.
Son père, Nicolas Binet (1671–1753), est de la première génération née en Nouvelle-France. Il incarne la transition entre les colons venus de France et leurs enfants, qui apprendront peu à peu à faire face aux dures réalités du pays. Le père de Nicolas, René, avait immigré depuis la Normandie pour s’établir durablement dans la colonie au XVIIe siècle.
Sa mère, Geneviève Brisson (1678–1758), est elle aussi de la première génération née en Nouvelle-France. Ensemble, Nicolas et Geneviève élèvent une famille nombreuse et soudée : Marie est la cadette d’une fratrie de douze enfants, qui contribueront à façonner ce pays par leurs travaux, leurs drames, leurs fêtes et leur solidarité sociale.
Dans cette maisonnée animée, Marie grandit au rythme des saisons et des travaux agricoles. Le sens du devoir, les liens familiaux et le souci du bien commun façonnent Marie dès l’enfance.
Une mère dévouée, fondatrice d’une lignée
À l’âge de 22 ans, Marie Binet épouse Louis Bissonnet (1706-1760), le 9 août 1729, à Beauport, dans la même église où elle a été baptisée. Louis est le fils de Jean Bissonnet et de Marie Charlotte Daveine. Ensemble, ils fondent une famille prolifique et bien enracinée dans la société canadienne. Leur union donnera naissance à dix enfants, dont plusieurs se distingueront par leur vocation ou leur esprit pionnier.
Deux de leurs filles feront le choix remarquable de la vie religieuse : Élisabeth (1737–1762) et Marie Angélique (1739–1825) entreront chez les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame. Cette communauté, fondée par Marguerite Bourgeoys, était une pionnière de l’éducation en Nouvelle-France. Par leur engagement, Élisabeth et Marie Angélique Bissonnet s’inscrivent dans la continuité de l’idéal de service et d’éducation qui avait animé la fondation de Ville-Marie.
Leur fils, Pierre Bissonnet, né en 1742 à Montréal, prendra quant à lui un chemin inattendu. En 1777, en pleine guerre d’indépendance des États-Unis (bien qu’il s’établisse bien loin des territoires réclamés par les Américains), il se marie à Saint-Louis, dans le Missouri. Ce choix illustre la mobilité croissante des Canadiens français dans un continent en plein développement. À travers Pierre, l’influence Néo-Française s’étend bien au-delà de la vallée du Saint-Laurent.
Un frère protecteur, un lien entre les générations
La vie de Marie s’interrompt tragiquement en 1745, à seulement 38 ans. Elle laisse derrière elle plusieurs enfants encore jeunes, dont Marie Catherine, née en 1735. Après le décès de son époux, survenu peu après, les enfants deviennent orphelins de père et de mère.
C’est à ce moment que son frère cadet, François Binet (1717–1792), déjà père de dix enfants, accepte d’assurer la tutelle de sa nièce Marie Catherine. Ainsi, il veille à la continuité et à la sécurité de la famille. Ce geste, loin d’être banal, témoigne d’un esprit de solidarité et de responsabilité typique des familles canadiennes-françaises du XVIIIe siècle.
Mais pour nous, descendants, ce geste a une portée encore plus grande : François Binet crée un lien durable entre les familles Bissonnet et Binet. Par son engagement discret, mais fondamental, il a contribué à préserver une branche entière de cette famille, et à transmettre, de génération en génération, les valeurs de dévouement, de travail acharné et de solidarité sociale.